
La naissance au rythme du temps-nature
Image : © Aldo Jarillo.
La médecine moderne a indexé la totalité du continuum naissance sur le temps-montre linéaire qui se manifeste à travers le tic-tac d’une horloge. Subordonner les rythmes et cycles naturels à une succession de chiffres et de mesures a des conséquences néfastes. La naissance au naturel, c’est aussi le retour au temps-nature pour honorer le ‘bon moment’.
Le temps est une drôle de chose. Il apparaît quand on en manque ou quand on en a de trop. On y pense quand on est en avance ou en retard. Et il disparaît quand on est absorbé par l’instant.
Nous avons l’habitude de considérer le temps comme le tic-tac d’une horloge, une succession répétitive de chiffres et de mesures. Nos vies modernes sont indexées sur deux flèches qui font le tour du cadran : la grande flèche est constamment en mouvement pour ne rater aucune minute, la petite la suit lourdement pour nous donner l’heure.
Mais sait-on seulement ce qu’on mesure ? L’expérience qu’on fait du temps coïncide peu avec ce tic-tac régulier, qui nous donne l’impression d’un temps linéaire. Le temps peut nous paraître court ou extrêmement long. Par moment, il semble même s’arrêter complètement.
Plusieurs formes de temps existent. Il y a le ‘temps-montre‘, le temps tic-tac que l’on mesure à la seconde près grâce à nos montres sophistiquées. Ce tic-tac semble simuler le rythme persistant de notre pouls, mais fait-il pour autant partie de notre nature ?
Il y a aussi le ‘temps-nature‘ qui se vit à travers une séquence d’expériences et d’existences interconnectées. Le temps émerge dans l’être-ensemble et se manifeste dans notre relation avec ce, ceux et celles qui nous entourent. Notre corps a la capacité de vivre avec les cycles et rythmes de la nature, on parle d’ailleurs de notre horloge interne.
Quand nous y sommes attentives, nous pouvons avoir un sens commun du ‘bon moment’ dans nos relations. Et ce ‘bon moment’ ne se mesure pas à l’aide d’une montre mais à l’aide d’un enregistrement interne du temps-nature qui échappe à toute mensuration.
Dans nos vies modernes, le temps-montre est sans aucun doute pratique. Mais que devenons nous quand il efface le temps-nature ?
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La médecine moderne a indexé la totalité du continuum naissance sur le temps-montre.
La première grille de lecture que l’on applique à la naissance est le calendrier. L’acte de prédire au jour près la naissance d’un enfant semble assez osé, pour ne pas dire déplacé, quand on considère la durée moyenne d’une grossesse de 42 semaines. Cela fait beaucoup de jours à considérer quand on veut tomber juste.
Fixer ainsi l’avènement d’une naissance dans le temps donne lieu à tant d’inexactitudes qu’il est quasi-inutile d’un point de vue pratique.
Selon moi, l’objectif de ce rituel est bien autre. Cette pratique à vocation symbolique (et non pratique) sert à consolider la prédominance du temps-montre.
Ne suggère-t-on pas à la femme enceinte une exactitude totale du temps-montre linéaire qui saurait ainsi prédire avec justesse le timing d’un évènement biologique ? Comme si le tic-tac d’une montre et les ‘rouages’ de notre corps serait de la même nature ?
N’efface-t-on pas la notion du ‘bon moment’ qui est (et restera toujours) décidé par le temps-nature et qui se dévoile naturellement que peu de temps avant la venue au monde d’un nouvel être ?
Ce rite de prophétie s’apparente au contraire presqu’à un acte magique, qui fixe ce moment jusqu’alors secret grâce au temps-montre. Il suggère même l’indispensabilité du temps-montre, nécessaire pour préserver la santé du bébé qui pourrait par inadvertance naître trop tôt ou trop tard.
En réalité, un bébé naît quand il naît, c’est-à-dire pour lui au ‘bon moment’, selon le temps-nature (sous conditions qu’on le lui permet).
Certes, un bébé peut naître pour des raisons plus ou moins inconnues trop tôt par rapport à son développement physique (et non par rapport au temps-montre), mais il ne peut en aucun cas naître trop tard.
Ina May Gaskin, la sage-femme américaine, reconnue pour son travail en faveur de la naissance naturelle, qu’on surnomme aussi « mother of authentic midwifery“ („la mère des sages-femmes authentiques“) cite dans son livre « Le Guide de la naissance naturelle » plusieurs récit surprenants.
Betschler (1880) a mentionné un cas « dans lequel les contractions ont été soudainement interrompues par une violente tempête, de sorte que le col de l'utérus, bien que largement dilaté, s'est refermé, et le travail n'a repris qu'après dix-neuf jours ».
19 jours plus tard. DIX. NEUF. Ça, c’est du jamais vu dans une société obstinée par la suprématie du temps-montre où le scalpel n’est jamais loin.
Plus loin elle écrit :
Dewees (1847) : « En 1792, j'ai été appelé pour assister Mme C., car sa sage-femme était occupée. Alors que je m'approchais de la maison, on m'a supplié de me dépêcher, car il n'y avait pas un instant à perdre. […] Lorsque je suis entré dans la chambre, Mme C. se remettait tout juste d'une contraction, la dernière qu'elle ait eue à ce moment-là. Après avoir attendu une heure dans l'espoir d'un retour des contractions, je suis parti et je n'ai pas été rappelé avant exactement deux semaines.“
Deux semaines (DEUX !) se sont passées avant que le bébé pourtant prêt à naître voit le jour, puisque la femme a été heurté par l’apparition d’un homme inconnu durant ses contractions.
Ces exemples montrent de combien la naissance est soumise au temps-nature. Un temps extensible, dynamique et variable qui est interconnecté avec toutes les expériences et existences qui participent à la naissance. Le ‘bon moment’ est déterminé par la présence de tous les facteurs favorables à la meilleure des naissances, et ce moment ne se prédit pas puisqu’il est soumis au changement.
Pourtant, une naissance gérée au sein du système médical peut facilement ressembler à un processus standardisé et même basculer dans une course contre la montre.
‘Par précaution’, on mesure d’ailleurs non seulement le temps, mais tout ce qui se mesure : durée de contractions, fréquence, ouverture du col d’utérus, durée du travail, battements de cœur, poids et taille du bébé, périmètre crânien, fréquence cardiaque et respiratoire … l’expérience est normée, l’être évalué, classé et comparé. Et c’est cette présence de chiffres, prétendument objectifs (voici une discussion pour une autre fois), qui finit par anéantir notre expérience du temps-nature.
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Avant la naissance de mon premier bébé, j’ai échangé avec une maman qui avait fait l’expérience d’une naissance à la maison en présence d’une sage-femme et d’une naissance libre sans la présence d’un professionnel le santé. Elle m’avait confié que ce qui l’avait frappé le plus en comparant les deux, était une expérience du temps tout à fait différente. Sa sage-femme avait bien entendu gardé une trace du temps tout au long de la naissance, empêchant cette maman de trouver refuge dans un espace où le temps-montre s’efface pour faire place au rythme de la nature.
C’est que lors de sa deuxième naissance, qu’elle a vécu seule, qu’elle a fait l’expérience de cet espace où le temps semble s’arrêter, où plus aucun chiffre compte et où tout suit un mouvement auto-géneré qui a son propre timing.
Moi-même, j’ai fait l’expérience de cet espace lors de ma deuxième naissance. Seule avec mon fils dont la venue au monde se faisait à coups de contractions régulières, j’ai complètement perdu le sens du temps. J’ai perdu trace du jour et de la nuit et j’ai basculé dans un espace intérieur où j’ai suivi le mouvement sans résistance, telle une vague à qui ne viendrait pas à l’esprit de questionner sa cadence.
Dans mon souvenir, cet accouchement a duré quelques minutes, alors que mon fils a pris de longues heures avant d’émerger.
Pour moi, c’est exactement dans cet abandon au temps-nature que réside le pouvoir d’un accouchement libre. Et c’est là une expérience si précieuse qu’on empêche en vénérant le temps-montre, pourtant infiniment moins complexe et savant que le temps-nature.
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Cet article est mon invitation à explorer ta propre relation avec le temps.
Pour te guider dans ta propre exploration, je te propose quelques idées à prendre ou à laisser:
1
Trouve un endroit où tu peux être en contact avec la nature et ses éléments. Observe la faune et la flore, lève les yeux vers le ciel. Sois attentive au vent, éventuellement à l’eau qui coule et écoute les petits bruits les yeux fermés. Quels repères dans le paysage façonnent ta perception du temps ?
Focalise-toi sur un être qui partage ton espace. Quel pourrait être son sens du temps en interagissant avec ces mêmes repères ?
2
Tente de traverser une journée entière sans mesurer le temps à l’aide d’une montre. Comment fais-tu l’expérience du temps ? Comment est-ce que tu te repères ? Enregistre quand le temps te paraît long ou trop court et comment tu le ressens dans ton corps. Dans quels moments est-ce que le temps s’efface ?
3
Réfléchis à des tâches que tu dois réaliser pour ou avec d’autres personnes. Ecoute à l’intérieur de toi. Peux-tu déceler une sensation dans ton corps qui t’informe du bon moment ? Est-ce que le temps est venu de réaliser cette tâche ? Sens-tu une urgence ? Ou est-ce que tu penses pouvoir repousser sa réalisation ? Si tu peux, échange avec une personne concernée. Avez-vous un sens partagé du bon timing ?
4
Si tu es enceinte, examine comment le temps-montre façonne ta perception de ta grossesse. Est-il très présent ? Peu présent ? Quelle importance donnes-tu au temps, notamment pour ton accouchement ? Y a-t-il suffisamment d’espace dans ta perception pour enregistrer le temps-nature ? Quels autres repères hormis la montre et le calendrier pourraient te guider dans ta perception du temps ?
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