Quand les mamans font capoter le mythe du manque

Image : © Ksenya Buraya

Comment une crise du nerf trijumeaux m’a amenée à me demander si le mythe du manque et la victimisation ne seraient pas une des racines du surmenage des mamans.

« Je suis fatiguée de devoir tout tenir toute seule ». Ainsi commence un petit texte qu’une maman a récemment partagé avec moi sur Telegram.  Il parle de la maman surmenagée par une responsabilité excessive. Du fardeau de la charge mentale et de la maman qui gère et pense à tout.

Selon l’autrice (anonyme) du texte, la maman occidentale qui a sensation de devoir porter seule, sans relâche serait un produit de son temps : « Tu n’es pas née ainsi. Tu as été façonnée ainsi. Par des mères qui ne savaient pas reléguer. Par des pères qui n’étaient pas présents. Par une société qui a confondu force et reniement de soi. Tu as appris très tôt que tu devais tout régler toi-même, sinon tout s’écroulerait. Et c’est ainsi que tu t’es crispée. Endurcie. Déformée. »

En lisant ces lignes, je me suis posée la question si elles résonnaient par rapport à ma propre situation de maman. Je suis maman de deux petits, mon mari travaille la plupart du temps.

Je garde les enfants à temps plein, je tiens la maison, je veille à ce que nous ne manquions jamais (enfin presque) de nourriture ou (presque jamais) de vêtements propres et que nos besoins et obligations divers de la vie quotidienne soient honorés (sauf quand j’oublie bien sûr).

C’est effectivement un emploi de temps plus que plein. La sensation de surmenage ne m’est évidemment pas étrangère.

Pourtant, quelque chose dans ces lignes ne résonnait pas. Pourquoi ?

La sensation du trop-plein, je connais bien. Mais est-ce que je me sens réellement épuisée, endurcie ou crispée ? Est-ce que mon comportement n’est vraiment rien d’autre que la conséquence d’un endoctrinement profond ?

* * *

Il y a quelques mois, j’ai fait une crise du nerf trijumeaux qui a duré deux semaines. C’est une douleur atroce qui traverse la partie latérale du visage et que je ne souhaite à personne. Une sensation d’une tension extrême dans la mâchoire qui tire dans les dents, tellement douloureuse, qu’on joue avec l’idée de se faire arracher toutes dents dans l’espoir que ça s’arrête.

C’était la deuxième crise que je faisais depuis la naissance de mon deuxième enfant.

Je n’ai pu m’empêcher de faire le lien entre mes douleurs et le surmenage. Je ne peux nier que je me sentais souvent débordée depuis son arrivée. Deux petits enfants à moi seule, c’était par moment une épreuve.

Ce qu’il y a d’intéressant dans cette expérience (oui, ça va devenir intéressant maintenant) c’est que j’ai avant chaque crise notée une montée de pensées négatives et désespérées du genre « personne ne m’aide », « je dois tout porter seule », « je ne peux pas y arriver ». En toute somme la sensation dont parle l’autrice du texte mentionné ci-dessus.

Et j’avoue qu’une partie de moi a volontairement joué ce jeu. Celui de la victime qui, sans reconnaissance aucune, se sacrifie pour ces enfants. La maman-martyre qui donne tout et ne reçoit rien. Mon Dieu, ce que j’étais désespérée de mon cas !

J’étais arrivée à un stade où ces pensées m’obnubilaient. M’obsédaient même. Où je commençais chaque nouvelle journée avec une bonne dose d’apitoiement sur mon sort. Alors que j’avais la chance de vivre des moments tellement beaux avec mes deux enfants. Alors que j’avais un mari qui faisait tout dans son possible pour me soulager.

Quand la douleur est devenue invivable, j’ai compris que je devais choisir. Soit 1 je me dissociais de ces pensées pour assumer mon choix de maman engagée, soit 2 je démissionnais de mon poste pour les faire garder par des inconnus.

J’ai choisi la première possibilité. Parce que de manière réaliste, ma situation n’allait pas changer d’ici là. Parce que, et c’était là pour moi la grande révélation, c’est moi qui ai choisi de vivre ma vie de maman telle que je la vis.

 

C’est moi qui ai décidé de les garder avec moi.

C’est moi qui ai décidé de m’occuper du foyer pendant que mon mari part travailler pour ramener des sous-sous.

C’est moi qui ai décidé de les élever en dehors de diverses institutions.

C’est moi, moi et encore moi.

Parce que je sens au plus profond que c’est qui le meilleur choix pour notre famille. Parce que c’est ce que JE VEUX.

 

Et certes, le choix d’être pleinement maman sans reléguer partiellement la garde à des institutions gouvernementales n’est pas toujours simple. Mais c’est le mien. Et c’est là que j’ai compris que je ne suis pas, mais alors pas du tout, victime, mais actrice en son plein pouvoir.

Quelle révélation ! Mes douleurs se sont dissipées dans l’espace de quelques jours tout comme ces pensées désespérées.

Face au désespoir de la maman surmenagée, l’autrice du petit texte propose sa propre solution : « Tu n’as plus besoin de tout faire tout seul. Tu peux arrêter de chercher une solution à tout. Tu peux t’interrompre au milieu d’une phrase et simplement t’asseoir. Tu peux dire : « Je ne peux pas pour le moment. » écrit-elle.

Et bien sûr, c’est juste de rappeler que personne n’a besoin d’être super-héros. C’est juste aussi de rappeler qu’il faut observer ses propres limites.

Mais est-ce que cette observation pointe vraiment vers la racine du problème ?  Est-ce qu’il suffit de souffler un instant pour palier à un problème systémique ?

Pour ma part, je n’ai rien arrêté.

Je continue de faire seule quand il faut. Parce que nos priorités et l’organisation de notre vie de famille l’exigent.

Je cherche toujours encore autant de solutions que je peux. Parce que la vie l’impose.

 

Oui, c’est vrai, j’ai fait quelques ajustements et mes enfants grandissent.

Oui, c’est vrai, je leur dis parfois « Je ne peux (ou veux) pas pour le moment » – c’est normal pour toute personne qui pose ses limites sainement.

 

Mais je continue globalement à gérer un trillion de choses.

Par contre, je ne le fais plus avec une identité de victime.

Non, au lieu de ça, je suis maintenant fière de moi quand je vois tout ce que j’arrive à faire en une seule journée.

La conscience de victime a fait place à la gratitude. La gratitude pour toutes les grandes et petites choses de la vie, même quand celle-ci me presse comme un citron. Par conséquence, je profite tellement plus de mes enfants. Et miraculeusement, mes responsabilités que je porte du matin au soir (et de temps en temps la nuit) m’épuisent plus de la même manière.

Évidemment, le soir (et occasionnellement déjà l’après-midi) je suis fatiguée comme tout être humain qui se repose peu, mais je ne suis plus épuisée, ni contrariée, ni désespérée.

Récemment, j’ai dû rester seule pendant une semaine avec mes deux enfants en bas age. Mes copines me demandaient régulièrement si ça allait, si je tenais le coup – alors que moi ça allait super bien. Je me suis miraculeusement vu assumer la totalité du quotidien (et plus) jour et nuit sans une seule seconde de surmenage désespérée.

Non pas parce que je suis devenue super-woman (encore que je me sois par moment senti pas mal surpuissant) mais parce que je suis allée avec le courant, sans tenter d’aller à l’encontre de l’expérience. Je me suis remémorée que je suis actrice dans la situation et non pas victime qui subit.

Il y a quelques semaines encore, je me serais noyée dans ma sensation de solitude et de martyre, tout en diabolisant mon oh-si-méchant mari (que j’aime pourtant profondément) pour son absence.

* * *

En écrivant ces lignes, il devient de plus en plus clair pour moi que c’est l’obstination avec le manque qui m’a rendue malade. Cette sensation de manquer toujours et toujours encore. Manquer de soutien, de repos, de reconnaissance.

Au moment de la crise, le manque était devenu un vecteur central de ma vie, ce qui n’est pas surprenant : on vit dans une société qui cultive littéralement le manque.

Cette expérience m’a remémoré qu’il faut toujours être sur ses gardes quand on s’identifie à un narratif. Est-ce que c’était vraiment moi qui me sentais victime ? Ou est-ce que j’ai adhéré à une idée rapportée ?

Oui, les mamans portent tellement. Elles sont des piliers si importants. Elles sont de véritables octopus. Elles agissent souvent en arrière-plan et un courant de notre société tente manifestement de les éradiquer.

Oui, on a besoin de soutien. Dans une société saine, une maman n’est pas censée faire seule. Mais quand nous indexons nos besoins autour du manque, nous ne pouvons recevoir en abondance.

Quand nos échanges de mamans placent inlassablement au centre ce qui nous manque, nous n’agissons pas sur une fréquence qui engendre le changement.

Le moment où j’ai compris qu’agir à partir du manque ne me mènera nulle part (à part à plus de manque), je me suis longuement mise en question. Je me suis jurée de veiller à remplacer la sensation de manque par la gratitude.

Et là, quelque chose de magique est arrivée. Dans la journée, une femme m’a proposé de garder mes enfants pour une somme dérisoire pour me soulager. Et je n’ai littéralement rien fait pour la trouver.

Et j’ai profondément compris que le manque ne devait être un point de départ. On n’est ni victimes, ni seules.

On est actrices avec un pouvoir enivrant. La vie entière nous soutient, nous porte quand on lui ouvre les portes. À travers les moments joyeux, les mauvais jours et les moments d’épuisement.

Depuis que je m’ouvre à sa force, je ne lutte plus contre ce qui est. Je cherche à répondre à mes besoins sans me noyer dans l’obsession de manque.

Et je savoure tellement plus ma maternité.

* * *

Ces lignes sont mon invitation pour toi à explorer ta propre relation avec le manque et la victimisation.

Cette exploration dévoile couche par couche tant de programmes internes pour les faire capoter l’un après l’autre.

C’est une exploration si riche et profonde que ces quelques lignes ne peuvent lui rendre pleinement justice.

J’espère néanmoins que ce partage t’apporte quelque chose de précieux.

Comme toujours, je suis curieuse de connaître tes pensées. Il suffit de cliquer sur ‘Contact‘ pour les partager avec moi !